Mécanisme de Forensique Financière Électorale pour la Crédibilité des Futures Élections en Haïti

Des habitants de Cité-Soleil font la queue pour aller voter à Port-au-Prince, Haïti, mardi 7 février 2006. (AP News)


Sigles et Glossaire

Institutions clés impliquées dans le cadre de surveillance électorale et financière d’Haïti.

Sigle Nom Complet (Français) Traduction Anglaise Rôle / Description
TPC Conseil Présidentiel de Transition Transitional Presidential Council Organe exécutif temporaire établi dans le cadre de l’accord d’avril 2024 pour organiser les élections et superviser la transition vers un gouvernement élu d’ici février 2026.
CEP Conseil Électoral Provisoire Provisional Electoral Council Autorité électorale nationale d’Haïti responsable de l’organisation, de la gestion et de la certification des élections.
ULCC Unité de Lutte Contre la Corruption Anti-Corruption Unit Agence principale de lutte contre la corruption chargée d’enquêter sur le détournement de fonds publics et la corruption au sein des institutions de l’État.
UCREF Unité Centrale de Renseignements Financiers Central Financial Intelligence Unit Autorité de renseignement financier surveillant les transactions suspectes et luttant contre le blanchiment d’argent et les flux financiers illicites.
DGI Direction Générale des Impôts General Directorate of Taxes Autorité fiscale nationale responsable de la collecte, de la conformité fiscale et de la vérification des déclarations fiscales des candidats et des partis.
CSCCA Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif Supreme Court of Auditors and Administrative Disputes Plus haute institution d’audit d’Haïti chargée de surveiller les dépenses publiques et d’assurer le contrôle financier constitutionnel des élections.
  • Les élections en Haïti ont perdu toute crédibilité, car le financement des campagnes fonctionne presque entièrement en dehors de la loi. Malgré l’existence de cadres juridiques, il n’existe aucun système opérationnel pour retracer les dons, vérifier les dépenses ou appliquer des sanctions. En conséquence, les élites fortunées et les réseaux criminels utilisent des fonds occultes pour acheter de l’influence, écarter la concurrence et capturer l’État. Les gangs peuvent désormais agir comme des bailleurs politiques, finançant des candidats qui protégeront leurs intérêts grâce à des revenus illicites. Ces dynamiques ont érodé la confiance du public et transformé la politique électorale en un vecteur de corruption et d’insécurité, plutôt qu’en un instrument de transformation démocratique.

  • Cet article propose la création d’un Bureau de Lutte Financière Électorale (BLFE) au sein du Conseil Électoral Provisoire (CEP). Ce bureau regrouperait des experts issus des institutions haïtiennes de lutte contre la corruption, des services fiscaux et du renseignement financier afin de suivre en temps réel les flux d’argent électoral, de détecter les financements illégaux et de garantir que les violations entraînent des poursuites judiciaires.

  • En rendant le financement des campagnes transparent et exécutoire, le BLFE, appuyé par son Indice de Crédibilité Financière Électorale (ICFE), contribuerait à rétablir la confiance dans les élections. Il ferait passer les scrutins haïtiens d’un système dominé par l’argent potentiellement illicite à un processus guidé par la responsabilité, la transparence et une supervision dirigée par les Haïtiens eux-mêmes.

Introduction

Si une élection devait avoir lieu en Haïti au cours des deux prochaines années, elle marquerait un retour au processus démocratique après près d’une décennie sans scrutin. Ce serait un moment charnière visant à rétablir un gouvernement élu et à déterminer si le pays peut surmonter les crises qui ont façonné son parcours depuis avant 2021. Les dernières élections nationales de 2015–2016 ont été entachées par une faible participation des électeurs et de nombreuses allégations de fraude, d’irrégularités et de financement de campagne non transparent.

Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), mis en place dans le cadre de l’accord politique d’avril 2024, est chargé d’organiser des élections et de transférer le pouvoir à un gouvernement légitime d’ici février 2026. Cependant, la corruption et l’inefficacité de la gouvernance ont empêché le CPT d’atteindre ces principaux objectifs. Les élections passées ont révélé une corruption systémique, où des réseaux d’élites et des acteurs informels de pouvoir contrôlent constamment l’accès des candidats et les résultats, entraînant une confiance citoyenne extrêmement faible. Le résultat est sans appel : 93 % des Haïtiens n’ont aucune confiance dans le système électoral du pays, l’un des plus faibles de la région, et 88,6 % estiment que les élections sont mal organisées, selon une enquête nationale réalisée en 2024 par Policité et Internews. De même, le rapport BTI 2024 révèle que seulement 37 % des Haïtiens considèrent leur pays comme une démocratie, illustrant la profonde méfiance envers les institutions publiques.

Le Conseil Électoral Provisoire (CEP), autorité électorale haïtienne, gère l’enregistrement des candidats et le dépouillement des votes, mais ne dispose pas de la capacité technique nécessaire pour superviser efficacement le financement des campagnes ou détecter les fonds illicites. La crédibilité électorale doit reposer sur la transparence, le contrôle et l’application des règles en matière de financement politique, surtout dans un contexte où les réseaux de gangs, ayant des objectifs politiques déclarés et des sources indépendantes de revenus illégaux, représentent une menace crédible pour les résultats électoraux. Empêcher l’argent illégal d’acheter les candidats ou de fausser les élections est essentiel à la sécurité nationale et à la mise en place d’une gouvernance durable, rompant les cycles de violence post-électorale, de capture de l’État et d’interventions internationales. Alors que les gangs contrôlent environ 90 % de Port-au-Prince et que la communauté internationale demeure focalisée sur la stabilité du pays, la fenêtre d’opportunité pour instaurer un système électoral solide est étroite mais cruciale.

Pour y remédier, cet article propose la création du Bureau de Lutte Financière Électorale (BLFE), une unité spécialisée au sein du CEP, composée d’enquêteurs issus de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), de l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF), de la Direction Générale des Impôts (DGI), avec l’appui de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA). En intégrant la surveillance financière au processus électoral, Haïti peut transformer les élections — aujourd’hui perçues comme des événements démocratiques imprévisibles et sources de crise, en instruments fiables de stabilité et de bonne gouvernance.

Financement Électoral Criminel

Haïti dispose de lois sur le financement des campagnes qui, si elles étaient appliquées, pourraient garantir la transparence électorale. Le pays ne possède pas de loi électorale permanente ; chaque cycle électoral est régi par un nouveau décret électoral qui actualise ou remplace souvent les règlements précédents.

Chronologie du cadre juridique haïtien sur le financement des campagnes (2008–2025) :

2008

La Loi électorale exigeait la divulgation détaillée de toutes les donations supérieures à 100 000 gourdes, avec un rapport mensuel transmis au CEP depuis l’enregistrement des candidats jusqu’à la clôture de la campagne (Loi électorale de 2008, Ch. X, Sec. B, Art. 135, p. 41). Source

2013

S’appuyant sur les dispositions précédentes, la Loi électorale a renforcé la transparence et la responsabilité en précisant les obligations de déclaration et en consolidant les mécanismes de supervision (Loi électorale de 2013, Ch. X, Sec. B, Arts. 130–135.1, pp. 34–36). Source

2014

La Loi sur les partis politiques a introduit des règlements sur le financement des partis, leur permettant de se financer par les cotisations des membres, les dons (plafonnés à 2 000 000 HTG pour les particuliers et 10 000 000 HTG pour les personnes morales par an), et les subventions publiques basées sur la performance électorale. Les partis sont tenus de soumettre des rapports financiers annuels au Ministère des Finances et à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, accessibles au public. Le financement des campagnes des candidats reste réglementé séparément, les violations étant punissables d’amendes, de suspension ou de révocation de la reconnaissance légale (Loi sur les partis politiques de 2014, Ch. VI, Secs. I–IV, Arts. 33–46, pp. 8–9). Source

2015

Le Décret électoral a établi des plafonds de dépenses (100 millions de gourdes pour les candidats à la présidence et 20 millions pour les sénateurs) et exigé que les dons dépassant 50 000 gourdes soient effectués via des canaux bancaires traçables. Les sanctions en cas de violation incluent la perte du droit de vote, la disqualification ou la déchéance du mandat pour les candidats, ainsi que l’interdiction pour les partis de présenter des candidats pendant 2 à 5 ans (Décret électoral de 2015, Ch. X, Secs. A–B, Arts. 125–131, pp. 56–58). Source

2021

Le Décret électoral de 2021 a relevé les plafonds de dépenses à 150 millions de gourdes pour les candidats à la présidence et 30 millions pour les sénateurs, tout en exigeant que les dons supérieurs à 100 000 gourdes soient effectués par des canaux bancaires traçables. Des plafonds de dépenses ont également été fixés pour d’autres postes (Décret électoral de 2021, Titre VI, Secs. A–B, Arts. 200–216). Source

2025

Le Décret électoral de 2025 a augmenté les plafonds de dépenses de campagne à 500 millions de gourdes pour les candidats à la présidence et 70 millions pour les sénateurs, et a exigé que les dons dépassant 250 000 gourdes soient effectués par des canaux bancaires traçables. Il a également relevé les plafonds de dons pour tous les postes et maintenu le financement public uniquement pour les partis et coalitions ayant des candidats approuvés, excluant les candidats indépendants. Des plafonds de dépenses ont été définis pour tous les autres postes électifs (Décret électoral de 2025, Titre VI, Secs. A–B, Arts. 183–199).

« Les femmes candidates bénéficient d’une réduction de 50% des frais au moment de l’inscription. Toute candidature de personne en situation de handicap bénéficie d’une réduction de cinquante pour cent (50%) sur les frais au moment de l’inscription. Après analyse de dossier, tout(e) candidat(e) ayant un grade de maitrise bénéficie d’une remise de 20% des frais d’inscription. Si le (la) candidat(e) a un grade de doctorat, la remise est de 30%. » (Décret électoral de 2025, Titre III, Secs. B, Arts. 163–165)
Source

Non-Respect des dispositions légales

Ces cadres juridiques n’existent toutefois que sur le papier et manquent de l’infrastructure nécessaire pour assurer la mise en œuvre effective des obligations de divulgation et de contrôle. L’analyse des élections de 2015–2016 révèle de nombreux cas de non-conformité, et les rapports de l’époque font état de pratiques de financement irrégulières. Par exemple, il y a eu des allégations que des fonds du programme PetroCaribe auraient été détournés et que le parti au pouvoir à l’époque, le PHTK, aurait dépensé jusqu’à 60 millions de dollars afin de consolider son influence au sein du Parlement. Cet exemple illustre l’absence de transparence et de divulgation des donateurs dans le financement des campagnes. Ainsi, malgré les lois imposant un rapportage mensuel, leur application est demeurée faible, et de nombreuses déclarations financières étaient incomplètes ou vérifiées de manière incohérente, révélant une faille structurelle dans les mécanismes de reddition de comptes.

Ce schéma reflète toutefois une tendance plus large observée en Amérique latine et dans les Caraïbes durant les dernières années, où une part importante des dépenses électorales s’effectue en dehors des circuits officiels, par l’intermédiaire d’intermédiaires anonymes, de paiements en espèces et de contrats publics opaques, en violation fréquente des règles bancaires et de transparence. Ces pratiques se traduisent par des taux élevés d’achat de votes (25 % au niveau régional) et par une perception généralisée de capture du pouvoir politique par des intérêts privés (65 %).

Des élections sous influence illicite

L’absence d’application des lois a ouvert la voie aux élites fortunées, qui achètent traditionnellement de l’influence par des réseaux de clientélisme, et maintenant aux gangs criminels, désormais désireux d’exercer un contrôle politique grâce à des ressources issues d’activités illicites. Cette évolution représente une escalade dangereuse des menaces pesant sur l’équité électorale, les deux groupes disposant à la fois des moyens financiers et de la volonté d’appuyer des candidats favorables à leurs intérêts lors des prochains scrutins. Les capacités institutionnelles actuelles ne permettent pas de faire face simultanément à ces deux menaces, et la capacité du CEP à vérifier les déclarations financières ou à détecter des schémas complexes de blanchiment demeure limitée, reflet des faiblesses structurelles constatées dans l’ensemble des institutions haïtiennes de contrôle et d’application des lois.

Ce problème engendre des cycles prévisibles : le financement illicite des campagnes permet aux élites et aux réseaux criminels d’exercer une influence après les élections, alimentant ainsi le clientélisme, la violence et les interventions internationales. Mais les enjeux dépassent la seule intégrité électorale : ils concernent l’indépendance nationale. Lorsque les élus sont redevables à des réseaux criminels ou à des élites économiques plutôt qu’aux citoyens, l’État sert des intérêts privés au détriment du bien public.

Expertise Financière Électorale

Mandat et base légale

Pour relever ces défis, Haïti doit créer un Bureau d’Expertise Financière Électorale (BLFE) capable de combler les lacunes existantes. Le BLFE serait une structure indépendante et spécialisée du Conseil Électoral Provisoire (CEP), conçue pour garantir la crédibilité financière des élections haïtiennes en mettant en œuvre les mécanismes de contrôle financier existants mais restés inappliqués. Bien qu’institutionnellement rattaché au CEP, le BLFE fonctionnerait de manière autonome et serait composé d’agents expérimentés issus de : l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF), la Direction Générale des Impôts (DGI), avec l’appui technique de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA), au besoin.

Pour garantir la continuité, notamment dans un contexte où Haïti ne dispose pas encore d’un conseil électoral permanent, le BLFE fonctionnerait sous l’autorité du CEP pendant les périodes électorales. Dans l’éventualité où le CEP deviendrait inactif, ses fonctions seraient temporairement transférées à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA). Cet arrangement permettrait de préserver les activités et la mémoire institutionnelle du BLFE jusqu’à la mise en place d’un conseil électoral provisoire ou permanent. À ce moment-là, il redeviendrait une branche du conseil électoral.

Fonctions opérationnelles

Le BLFE coordonnerait l’ensemble des aspects financiers du processus électoral, notamment l’enregistrement des candidats et des partis, le suivi du financement des campagnes et la production de rapports financiers. Ses mécanismes incluraient :

  1. Vérification des déclarations financières et des candidatures : le BLFE examinerait, en temps réel, les états financiers détaillés soumis par les candidats, incluant les cinq dernières années de conformité fiscale et les numéros d’identification fiscale (Article 90), au lieu de les accepter sur la base de simples déclarations.

  2. Comptes séquestres pour les dépenses importantes : les principales dépenses de campagne seraient effectuées à travers des comptes supervisés, afin de prévenir les flux de trésorerie non traçables, conformément à l’Article 133, qui impose que les dons supérieurs à 50 000 gourdes soient réalisés par des canaux bancaires vérifiables.

  3. Détection automatisée des sources potentiellement illicites : les données bancaires, de monnaie électronique et de marchés publics seraient intégrées afin d’identifier les flux financiers à haut risque, créant ainsi une surveillance prédictive plutôt que réactive (en s’appuyant sur les exigences de rapportage mensuel prévues à l’Article 132).

Bien que le BLFE ne dispose pas lui-même d’un pouvoir de poursuite, les irrégularités signalées feraient l’objet d’un processus d’examen structuré respectant les garanties du droit au contradictoire et du procès équitable prévues par la Constitution haïtienne. Lorsque le BLFE identifie des violations potentielles, il adresse d’abord une notification formelle au candidat ou au parti, en accordant soixante-douze (72) heures pour présenter des explications ou des pièces correctives, conformément aux délais de contestation prévus aux articles 106 et 107 du décret électoral de 2015.

Si, au terme de ce délai, des divergences demeurent, le BLFE dresse un rapport d’enquête détaillé, transmis simultanément au Bureau du contentieux électoral (la chambre de contentieux du CEP) et au Commissaire du Gouvernement (ministère public). Toutefois, lorsque le processus d’examen du BLFE conclut à l’existence de violations, c’est-à-dire que le candidat ou le parti n’a pas fourni d’explications satisfaisantes dans les 72 heures, et que le rapport d’enquête du BLFE établit des preuves claires d’infractions au droit électoral, l’affaire est automatiquement déférée au Tribunal Électoral National (TEN). Le TEN doit rendre une décision dans un délai de quinze (15) jours, de sorte que les manquements documentés aux règles de financement des campagnes entraînent des poursuites automatiques.

En outre, l’ensemble des éléments de preuve du BLFE et des procédures judiciaires seraient consignés et accessibles au public, garantissant la transparence nécessaire pour permettre aux citoyens de voter en connaissance de cause. Cette séparation préserve l’indépendance du BLFE en tant que branche de contrôle du conseil électoral tout en rendant l’application des règles automatique et publique. Elle respecte la procédure légale régulière, mais empêche les autorités de choisir d’ignorer les violations, un problème qui a favorisé l’impunité par le passé.

L’Indice public de Crédibilité Financière Électorale (ICFE)

En outre, le BLFE assurerait une fonction de suivi et de rapport à travers l’Indice public de Crédibilité Financière Électorale (ICFE), son outil public de transparence. Cet indice se présenterait sous la forme d’un tableau de bord en ligne sur le site du Conseil Électoral Provisoire (CEP), publiant des rapports sur la conformité des candidats et des partis politiques aux lois financières, afin de garantir que les fonds de campagne soient transparents, légaux et traçables. Le ICEF suivrait notamment :

  1. Score de Traçabilité des Fonds : pourcentage des fonds de campagne provenant de sources légales vérifiées.

  2. Vitesse de Transparence : rapidité avec laquelle les candidats déclarent leurs finances (mesurée par rapport aux délais mensuels de déclaration prévus à l’article 132).

  3. Base Populaire vs. Gros Donateurs : ratio entre les petites contributions et les dons importants ou anonymes.

  4. Transparence des Dépenses Locales : pourcentage des achats de campagne effectués par le biais de contrats traçables (conformément aux exigences de documentation de l’article 135.2).

  5. Alertes sur les Réseaux Criminels : signalement en temps réel des schémas de financement suspects.

Ces indicateurs renforceraient la transparence électorale en donnant accès aux flux financiers, en identifiant les signaux d’alerte et en surveillant la conformité en temps réel, contribuant ainsi à consolider la transparence, la redevabilité et la confiance dans le processus électoral. De ce fait, la crédibilité électorale se transformerait en un instrument proactif capable de prévenir la capture criminelle et élitaire, tout en soutenant l’amélioration durable de la gouvernance.

Implications Politiques et Changement de Paradigme

La création du Bureau de Lutte Financière Électorale (BLFE) et de son Indice public de Crédibilité Financière Électorale (ICFE) marquerait une rupture avec la dépendance exclusive d’Haïti à l’égard du dépouillement des votes et de l’observation internationale comme principales mesures de crédibilité électorale. Cette lacune permet aux réseaux criminels d’acheter de l’influence grâce à des sources de financement dissimulées et érode davantage la confiance des Haïtiens dans le processus de vote.

Le BLFE transformerait ce système en faisant des contributions de campagne la première étape du contrôle et de la transparence. Ce changement considère les élections à la fois comme des exercices démocratiques et comme des transactions financières, plaçant les Haïtiens au cœur du contrôle de leur propre intégrité électorale, où les violations du financement politique mèneraient directement à des conséquences juridiques et à des disqualifications de fonctions publiques.

Recommandations

L’intégration d’un contrôle financier au cœur des élections haïtiennes nécessite une action coordonnée de l’État, reliant les cadres juridiques, le développement institutionnel et les mécanismes d’application. Trois étapes essentielles, mises en œuvre conjointement, offrent une voie pour contrôler les flux financiers:

Établir le mandat légal

En tant que seule instance légitime habilitée à légiférer par décret, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) détient une responsabilité majeure. Sans base légale, le Bureau d’Expertise Financière Électorale (FFEB) ne peut exister. Le CPT peut soumettre une proposition au Conseil Électoral Provisoire (CEP), qui coordonnerait avec les autres institutions indépendantes et fournirait ses observations, afin de garantir que tout décret émis par le CPT respecte les cadres juridiques existants ainsi que l’indépendance du CEP et de ces autres institutions. Ensuite, le CPT pourrait adopter un décret instituant le BLFE au sein du Conseil Électoral Provisoire (CEP), exigeant des candidats et des partis politiques la déclaration de leurs finances, autorisant la surveillance en temps réel des fonds de campagne et établissant des règles claires pour la transmission des violations aux procureurs. Étant donné l’incertitude quant à la durée du mandat du CPT au-delà du 7 février 2026, cette mesure devrait être prise avant la fin du mandat actuel. Une telle initiative transformerait les lois actuelles sur le financement des campagnes en véritables mécanismes d’application, garantissant la crédibilité des futures élections et évitant de nouveaux retards dans le processus de transition.

Institutionnalisation et autorité opérationnelle

Une fois le décret adopté, le Conseil Électoral devra intégrer le BLFE dans son architecture institutionnelle. Le Conseil devra assurer la mise en œuvre du BLFE en tant qu’entité indépendante dotée de son propre budget, d’une infrastructure informatique sécurisée et d’une autorité procédurale lui permettant de collecter les rapports financiers et de surveiller les fonds de campagne en temps réel. Le Ministère de la Justice jouerait un rôle central en reliant le BLFE aux procureurs, garantissant que les infractions constatées donnent lieu à des poursuites réelles plutôt qu’à de simples rapports publics. Cette étape permet de passer d’une simple observation des élections à leur application effective, rendant les élections propres indissociables de la justice pénale.


Capacité de mise en application

La crédibilité du BLFE dépendra de la qualité de son personnel. En détachant des enquêteurs de l’ULCC, des analystes fiscaux de la DGI, des analystes financiers de l’UCREF et des experts de la CSCCA, conformément à leurs mandats constitutionnels de contrôle financier, le Bureau bénéficierait d’une expertise et d’une légitimité lui permettant de détecter les schémas de blanchiment, de suivre les réseaux illicites et de préparer des dossiers judiciaires exploitables.

Leur présence transformerait le FFEB d’un simple organe symbolique en un moteur forensique capable de remettre en cause le clientélisme des élites et le financement des gangs.

Ensemble, ces trois étapes forment un plan qui place la transparence financière au cœur des élections haïtiennes. Sans cette approche, les élections continueront d’être des instruments permettant aux criminels et aux élites d’acheter le pouvoir. Avec elle, elles deviennent des outils de compétition libre et équitable, renforçant la bonne gouvernance et la stabilité politique.

Risques, Limites et Stratégies d’Atténuation

Le cadre du BLFE ne peut être efficace que s’il s’attaque directement aux risques ayant historiquement miné les élections haïtiennes. Ces problèmes sont structurels, institutionnels, financiers et sécuritaires, enracinés dans des décennies de domination par les élites économiques, de faiblesse du leadership et de dépendance à l’aide étrangère.

Capture par les Élites et les Gangs : L’histoire électorale d’Haïti montre comment les élites fortunées et les parrains politiques utilisent l’argent pour contrôler les résultats politiques et économiques. En 2015–2016, des candidats bénéficiant de financements occultes ont largement dépassé leurs concurrents, tandis que des chefs locaux et des gangs servaient d’acheteurs de votes dans des quartiers clés. Aujourd’hui, les partenariats entre des groupes armés tels que le G9 et leurs soutiens politiques étendent leur influence au-delà de Port-au-Prince, contrôlant la participation électorale par l’intimidation. Ce schéma fait du contrôle du financement politique non seulement un enjeu de transparence, mais aussi de sécurité nationale.

Opacité Financière : Environ 89 % des adultes haïtiens n’ont pas de compte bancaire, selon un rapport de la BRH (2018), soulignant la faible pénétration des services financiers formels et la dépendance au numéraire, aux transferts de fonds et aux réseaux informels pour financer l’économie et les activités électorales. Les services de paiement mobile se développent, mais restent faiblement contrôlés, créant une nouvelle voie pour les flux illicites. Le BLFE permettrait la traçabilité des flux financiers inhabituels, tandis que des partenariats avec la Banque de la République d’Haïti (BRH) et les opérateurs de téléphonie mobile offriraient un suivi en temps réel des transactions importantes. Des tableaux de bord publics, soutenus par des outils analytiques financés par des bailleurs de fonds, transformeraient les flux financiers cachés en données visibles et auditées sur le financement des campagnes.

Fragilité Institutionnelle : Le Conseil Électoral Provisoire (CEP) a historiquement été considéré comme l’une des institutions les moins crédibles d’Haïti. Le Commissaire du Gouvernement manque d’indépendance dans l’exercice de l’action publique, étant souvent soumis à l’influence du pouvoir exécutif ou des élites économiques. Parallèlement, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) demeure la seule entité disposant du mandat légal pour légiférer par décret jusqu’en février 2026. Sans son autorisation juridique, le Bureau d’Expertise Financière Électorale (BLFE) ne dispose d’aucune base légale. Ces vulnérabilités soulignent la nécessité d’une coopération interinstitutionnelle renforcée : l’adoption du BLFE par le CEP doit être soutenue par un décret du CPT, tandis que son personnel technique doit être composé d’experts issus de l’ULCC, de l’UCREF, de la DGI et de la CSCCA. Cette approche permettrait d’une part de préserver l’équilibre des pouvoirs au niveau du Bureau ainsi que son indépendance technique. D’autre part, cela assurerait la pérennité de ses fonctions au-delà de 2026.

Pressions Extérieures et Dépendance aux Bailleurs de Fonds : Près de 80 % des budgets électoraux haïtiens récents ont été financés par des sources externes, principalement les États-Unis, l’Union européenne et les Nations unies. Cette dépendance financière crée une forme d’influence, mais aussi une pression pour privilégier la rapidité au détriment de l’intégrité, les partenaires internationaux considérant souvent les élections avant tout comme un outil de stabilité à court terme. La solution réside dans un meilleur alignement des priorités des bailleurs sur les exigences du BLFE : faire en sorte que l’assistance technique, l’infrastructure informatique et les dispositifs de suivi soient conditionnés à des critères de transparence mesurables. La transparence qu’apporte le BLFE permettrait ainsi de déplacer l’incitation à la rapidité vers la crédibilité.

Défis Sécuritaires : Les groupes armés contrôlent actuellement des axes stratégiques, notamment Martissant (reliant Port-au-Prince au sud) et Croix-des-Bouquets (reliant Port-au-Prince à l’Est).

Lors du dernier cycle électoral, des bureaux de vote ont été attaqués, des bulletins incendiés et le personnel électoral pris pour cible. La situation sécuritaire s’est depuis aggravée : des quartiers entiers sont désormais sous le contrôle de gangs, rendant incertaine la possibilité pour les citoyens d’exercer leur droit constitutionnel de vote.

Un plan d’atténuation exige une coordination multipartite entre le CEP, le CPT, la Police nationale d’Haïti (PNH), les Forces armées d’Haïti (FAd’H), ainsi que la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMS) et les experts des Nations unies. Les mesures de contingence pourraient inclure : le déplacement des bureaux de vote vers des zones plus sûres ; ou l’adoption de systèmes numériques pour prévenir la manipulation des bulletins. Cependant, la sécurisation physique des électeurs et la logistique du vote dans les zones sous contrôle de gangs demeurent un défi majeur, d’autant plus que près d’un million de personnes déplacées internes ont perdu leurs documents d’identité lors des incendies provoqués par ces groupes.

La réémission de pièces d’identité constitue donc une étape cruciale avant tout scrutin. En s’attaquant directement aux risques réels du contexte politique et sécuritaire haïtien, le cadre BLFE–ICFE anticipe les tentatives de capture institutionnelle, renforce les institutions fragiles et met en œuvre des mesures pragmatiques pour garantir des élections crédibles. Ancré dans la réalité haïtienne actuelle, ce dispositif démontre que la transparence peut être à la fois réalisable et contraignante, condition essentielle pour rompre le cycle des crises électorales et politiques.

Conclusion

Les élections de 2026 détermineront si Haïti parvient à se libérer de la capture criminelle ou si elle demeure prisonnière d’un cycle d’instabilité. Le cadre du Bureau d’Expertise Financière Électorale (BLFE) et son Indice public (ICFE) vont au-delà des aspects techniques : ils redéfinissent la crédibilité électorale en faisant de la transparence financière le pilier de la légitimité démocratique. En filtrant les fonds criminels avant qu’ils ne corrompent la gouvernance, Haïti peut transformer les élections, aujourd’hui sources de crise, en indicateurs de stabilité.

Une mise en œuvre réussie établirait des réformes durables capables de refaçonner le financement politique pour les décennies à venir, tout en passant d’élections validées par des acteurs étrangers à un contrôle interne effectif grâce à la supervision du financement des campagnes. Mettre en œuvre le FFEB de manière décisive ouvre la voie à un modèle où la transparence remplace la capture, faisant des élections le socle de la stabilité, de la bonne gouvernance et de la souveraineté nationale.


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